Observatoire Reboot de l’information et du raisonnement critique – 2ème vague
L’élection présidentielle et les pratiques des Français en matière d’information et de raisonnement critique
Parution le 19/04/2022
Crédit : Arnaud Jaegers | Licence Unsplash
Comment les Français se sont-ils informés pendant la campagne électorale ? Quelles sont les pratiques qui favorisent le développement de désinformation ? Comment les algorithmes ont d’une certaine manière remplacé les journalistes dans la hiérarchisation de l’information ? Tels sont les questions auxquelles l’enquête IFOP pour la Fondation Reboot dédiée à la promotion de l’esprit critique répond.
L’institut a d’abord cherché à identifier les évolutions des modes de consommation d’information à l’occasion de l’élection présidentielle 2022, et l’impact de la montée d’Internet, des médias sociaux comme Facebook, Twitter et Instagram et des outils de conversation type Whatsapp dans la diffusion des thèses complotistes. Cette enquête révèle ainsi qu’Internet est devenu la première source d’information pour les jeunes et la 2ème pour tous les Français avec un triplement de son impact dans le quotidien de l’information en 13 ans.
Ensuite, l’IFOP confirme également que les « bulles informationnelles » déjà documentées dans de précédentes études de la Fondation Reboot poursuivent leur développement et qu’elles sont encore plus prégnantes dans les sphères complotistes.
Enfin, alors que la première vague de l’Observatoire avait souligné un taux de pénétration extrêmement élevé des thèses du Kremlin en France, favorisé notamment par la consommation des Français des outils numériques, cette nouvelle enquête souligne la défiance d’une partie de Français vis-à-vis de du processus électoral en cours, 14% croyant à l’existence d’un vote truqué, un taux qui atteint 30% chez les électeurs de Marine Le Pen.
En conclusion, la Fondation Reboot constate avec inquiétude que les Français manquent d’éducation à ces nouveaux outils numériques et qu’ils favorisent eux-mêmes le développement de la désinformation par comportements inadaptés : un tiers des Français commentent ainsi des articles qu’ils n’ont pas lu et plus de 42% les transfèrent à des proches sans les avoir lus non plus.
Dans un contexte de révolution des habitudes de consommation médias, le complotisme profite d’une polarisation des pratiques informatiques chez les Français
- La façon dont les Français s’informent a profondément évolué en 15 ans, marquant avant tout une explosion d’internet comme source principale d’information : 31% des Français citent cette source d’information en matière politique comme la plus fréquente contre seulement 11% en 2009, dépassant ainsi la radio (14% contre 21% en 2009) qui demeure toujours la 3e source d’information politique des Français. La télévision, avec la multiplication de l’offre informative, demeure la principale source d’information pour plus de quatre Français sur dix (42%, contre 49% en 2009). La presse écrite connait elle aussi un net recul mais reste marginale en tant que source d’information la plus fréquente en matière politique (5% citent la presse écrite nationale et 4% la presse écrite régionale contre respectivement 8% en 2009).
LES MÉDIAS LES PLUS UTILISÉS POUR S’INFORMER EN MATIÈRE DE POLITIQUE
- Ces changements dans les pratiques de consommation s’accompagnent surtout d’une polarisation des pratiques ouvrant une fracture générationnelle. Sans surprise, les jeunes ont largement délaissé la télévision (à peine un quart des jeunes de 18 à 34 ans la citent comme source d’information politique la plus fréquente) pour se concentrer très largement sur internet (64% des jeunes de 18 à 24 ans et 52% des jeunes de 25 à 34 ans), tout en délaissant également la presse écrite nationale (2% de plus jeunes l’utilisent le plus souvent contre 16% des 65 ans et plus).
Internet et les canaux du complotisme : comment les réseaux sociaux diffusent le complotisme dans l’esprit des Français
- Enfin, l’enquête montre la perméabilité des utilisateurs des réseaux sociaux aux théories complotistes. Parmi les Français pour qui les moyens d’information liés à internet sont déterminants en matière politique, le degré de croyance dans des théories complotistes est particulièrement élevée. Ainsi, seuls 10% des Français jugent déterminants les réseaux sociaux dans leur façon de s’informer mais ce chiffre atteint 22% parmi les personnes « très complotistes ». Ces dernières s’informent plus largement que la moyenne via les sites internet de la presse écrite (23% contre 17% dans l’ensemble) ou encore via les médias uniquement présents sur internet (22% contre 13% dans l’ensemble). Toutefois, il est intéressant de noter que les canaux traditionnels tels que les JT d’information des grandes chaines ou les JT des radios ne « protègent » pas contre les tendances complotistes, on retrouve en effet des pratiques similaires selon que les personnes intéressées soient très ou pas du tout complotistes
LE RÔLE DE CHACUN DES MOYENS D’INFORMATION DANS LA FAÇON DE S’INFORMER
- Le phénomène complotiste se caractérise par une tendance plus forte qu’au sein des autres catégories de la population à s’auto-entretenir, notamment par des pratiques de consommation médias qui enferment dans une réalité parallèle. Ainsi, 37% des personnes « très complotistes » affirment que les médias qu’ils utilisent sont plutôt des médias qui partagent leur point de vue, contre 26% en moyenne et 24% parmi les personnes non complotistes.
LES MAUVAISES HABITUDES SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
- Problème plus large que le seul complotisme, l’utilisation d’internet révèle l’importance des mauvaises habitudes sur les réseaux sociaux et donc la perméabilité aux thèses complotistes diffusées via une mauvaise pratique des outils internet. Ainsi, 30% des Français affirment avoir déjà réagi ou commenté un post sans en avoir vraiment lu le contenu voire même 42% ayant déjà transféré des articles ou vidéos à l’actualité politique sans en avoir vraiment vérifié la fiabilité. Ce dernier taux atteignant même 47% au sein de l’électorat de la droite radicale et 55% parmi ceux de la gauche radicale.
Une élection présidentielle truquée : l’information en ligne favorise la croyance dans l’hypothèse des fraudes électorales
- Plus d’un Français sur dix (14%) croient au fait que l’élection présidentielle va « être truquée », dont près d’un tiers des électeurs de la droite nationale (29% des électeurs d’Eric Zemmour et 30% de ceux de Marine Le Pen). Cette défiance manifeste vis-à-vis du processus électoral est deux fois plus forte que la moyenne chez les Français s’informant principalement via Internet (24%, contre 8% via la presse écrite et 3% la radio) et chez ceux croyants dans les théories du complot (25%).
L’ADHÉSION A L’IDÉE SELON LAQUELLE L’ÉLECTION PRESIDENTIELLE VA ETRE TRUQUÉE
- Autre signe de la fébrilité des Français quant à la probité du système électoral, 48% des personnes interrogées estiment qu’il est possible de truquer l’élection présidentielle. Cette inquiétude s’exprime en particulier au sein d’électorats actuellement écartés du pouvoir, comme les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (54%), ceux d’Eric Zemmour (68%) et ceux de Marine Le Pen (70%), mais également au sein d’électorats mis en minorité dans la course à l’élection présidentielle : 42% des électeurs de Valérie Pécresse partagent cette crainte d’une fraude électorale.
POUR CITER CETTE ETUDE, IL FAUT UTILISER A MINIMA LA FORMULATION SUIVANTE :
« Étude Ifop pour la Fondation Reboot réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 4 au 8 mars 2022 auprès de 2 007 personnes représentatif de la population âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine et par téléphone du 9 au 10 mars 2022 auprès d’un échantillon de 2 006 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. »
Article paru dans LEFIGARO
Article paru dans CNEWS
Article paru dans LAMONTAGNE.FR
Article paru dans L’Opinion
Article paru dans tf1info.fr
Réferences
Allen, J., Howland, B., Mobius, M., Rothschild, D., & Watts, D. J. (2020). Evaluating the fake news problem at the scale of the information ecosystem. Science Advances, 6(14), eaay3539.
Berriche, M. (2021). En quête de sources. Preuves et mises à l’épreuve dans la controverse vaccinale sur Facebook. Politiques de communication, (1), 115-154.
Boczkowski, P. J., Mitchelstein, E., Matassi, M. 2018. ‘News Comes Across When I’m in a Moment of Leisure: Understanding the Practices of Incidental News Consumption on Social Media’, New Media & Society, 20(10), 3523–39.
Dejean, S., Lumeau, M., Peltier, S., & Petters, L. (2021). La consommation d’informations en France. Reseaux, 229(5), 43-74.
Grinberg, N., Joseph, K., Friedland, L., Swire-Thompson, B., & Lazer, D. (2019). Fake news on Twitter during the 2016 US presidential election. Science, 363(6425), 374-378.
Guess, A., Nagler, J., & Tucker, J. (2019). Less than you think: Prevalence and predictors of fake news dissemination on Facebook. Science advances, 5(1), eaau4586.
Newman N., Fletcher, R., Kalogeropoulos, A., & Nielsen, R. K. (2019). Reuters Institute digital news report 2019. Reuters Institute for the Study of Journalism.
Osmundsen, M., Bor, A., Vahlstrup, P. B., Bechmann, A., & Petersen, M. B. (2021). Partisan polarization is the primary psychological motivation behind political fake news sharing on Twitter. American Political Science Review, 115(3), 999-1015.
Pennycook, G., & Rand, D. G. (2019). Lazy, not biased: Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition, 188, 39-50.
Pennycook, G., & Rand, D. G. (2021). The psychology of fake news. Trends in cognitive sciences.