Le nouvel onglet "Actualités" de Facebook ne changera pas la donne en matière de désinformation
Par Helen Lee Bouygues, Présidente de la Fondation Reboot
Helen Lee Bouygues, présidente de la Fondation Reboot, qui travaille à la promotion du raisonnement critique dans la société, revient sur le traitement médiatique du « convoi pour la liberté » aux Etats-Unis. Elle appelle à densifier la capacité de chacun à identifier les « fake news » et à renforcer les mécanismes d’alertes, notamment auprès des plus jeunes sur les dangers des réseaux sociaux.
Facebook vient d’annoncer la mise en place de sa nouvelle fonctionnalité « Facebook Actualités » aux utilisateurs français. Ce nouvel espace, déjà utilisé aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Australie, offre aux utilisateurs la possibilité de lire des articles journalistiques réputés et vérifiés provenant des meilleurs éditeurs de presse.
Facebook souligne les bienfaits de cette nouvelle fonctionnalité. Elle injecterait des sources de qualité et diversifiées dans la navigation de ses utilisateurs. Tout effort de la part d’une plateforme comme Facebook pour mettre des sources sérieuses à la disposition de leurs utilisateurs est un changement bienvenu, mais cette annonce cache malheureusement le maintien d’une mécanique favorisant le développement des « Fake news » sur le réseau social.
En effet, cette fonctionnalité ne change rien le défaut fondamental de la plateforme : Facebook donne à chacun de ses utilisateurs le pouvoir de créer, d’amplifier, de partager et de diffuser des fausses informations, de la désinformation et de la propagande en quelques secondes seulement. L’histoire a montré que des utilisateurs malveillants, voire des chefs d’État, profitent pleinement de cet outil pour semer la confusion, agiter et marginaliser leurs opposants et leurs concitoyens. La création d’un nouvel onglet et d’un fil d’actualité distinct pour les articles de presse venant des plus grands médias ne fait qu’accentuer la séparation entre les véritables reportages et ces contenus non vérifiés, sans garantie que les utilisateurs verront un jour les reportages que Facebook prétend maintenant soutenir.
A cet égard, Facebook a lancé Facebook News aux États-Unis en 2019 et n’a guère contribué à améliorer la qualité des informations partagées sur la plateforme dans ce pays. Pendant l’élection américaine de 2021, les employés de la plateforme eux-mêmes ont alerté sur la propagation de la désinformation et des conspirations parmi les utilisateurs. Les fausses informations sur COVID-19 et les campagnes « anti-vax » étaient (et sont toujours) répandues sur Facebook. Tout comme elles ont contribué à l’organisation de l’insurrection du 6 janvier au Capitole, ou encore plus récemment au développement des « Convois de la Liberté ».
Tout cela est rendu possible par les algorithmes qui demeurent omniprésents et continuent de diffuser du contenu axé sur l’émotion sur les pages d’accueil des utilisateurs. Ces algorithmes donnent la priorité à l’indignation, sans se soucier de savoir si c’est bon pour la société. Pour véritablement lutter contre la désinformation, les plateformes doivent réduire ces algorithmes qui amplifient le développement des contenus dangereux. Mais tant que leur modèle économique et les revenus publicitaires afférents dépendent des clics, ce problème reste entier.
Enfin, il y a les utilisateurs. Toutes les améliorations et mises à jour des plateformes et des flux ne feront pas une grande différence si les utilisateurs sont largement incapables de discerner la réalité de la fiction. La Fondation Reboot a mené une étude en 2020 qui a révélé que la plupart des gens sont extrêmement confiants dans leur capacité à repérer les “Fake news” et les sites web partisans. La crise des « Fake news » que nous vivons est en réalité une crise de l’éducation aux médias et de l’esprit critique. Aucun nouvel onglet ne pourra résoudre ce problème. Compte-tenu de la place prise par les plateformes dans nos vies, notre conviction est que nous devons investir davantage dans l’éducation. La pensée critique et l’éducation aux médias doivent être enseignées, à la maison et à l’école. Notre nation doit être en capacité de donner à tous les outils et les moyens d’être plus attentifs aux dangers de la désinformation. L’éducation aux médias et l’esprit critique vont de pair. Il faut apprendre aux jeunes à développer son esprit critique, à analyser et à tirer des conclusions pour faire de meilleurs choix.
En attendant, des solutions rapides comme les Facebook Actualités sont une bonne publicité pour les plateformes, mais il est peu probable qu’elles débarrassent nos réseaux sociaux de la désinformation et des « Fake news ».
Article initialement paru sur Huffingtonpost