TRIBUNE. « Convoi de la liberté » d’Ottawa à Paris : comment lutter efficacement contre le complotisme ?
16 Février 2022
Helen Lee Bouygues, présidente de la Fondation Reboot, qui travaille à la promotion du raisonnement critique dans la société, revient sur le traitement médiatique du « convoi pour la liberté » aux Etats-Unis. Elle appelle à densifier la capacité de chacun à identifier les « fake news » et à renforcer les mécanismes d’alertes, notamment auprès des plus jeunes sur les dangers des réseaux sociaux.
La tribune : Les « convois pour la liberté » constituent une forme « d’internationale complotiste » qui a bénéficié de l’effet amplificateur des médias conservateurs, de personnalités politiques de l’extrême droite américaine et des médias sociaux. La Fondation Reboot recommande à la fois un renforcement de l’éducation au raisonnement critique et une accélération de la régulation des plateformes pour permettre à tous les citoyens du monde de se protéger de ces mouvements qui propagent « fakenews » sur une multitude d’enjeu de société.
Cinq semaines après l’arrivée de camionneurs canadiens à Ottawa, des convois semblables sont partis des quatre coins de France pour rejoindre Paris et Bruxelles ces derniers jours. Aux sources du mouvement canadien, on constate deux vecteurs de cette protestation. D’une part, un petit groupe de camionneurs canadiens anti-vax. D’autre part, une colère poussée par les agitateurs des médias sociaux habituels de la machine à scandale de l’extrême droite américaine. Le chef de la police d’Ottawa a ainsi récemment déclaré aux journalistes : « Nous sommes maintenant conscients de l’existence d’un élément important en provenance des États-Unis qui a été impliqué dans le financement, l’organisation et la protestation. » Et le correspondant de CNN Daniel Dale – lui-même Canadien – de souligner la quantité « remarquable » de couverture des manifestations par les médias de droite américains, en particulier FOX News et son écurie d’opinion nocturne.
En ce sens, les messages les plus viraux sur les médias sociaux concernant les manifestations ne proviennent pas des camionneurs eux-mêmes, mais des poids lourds d’aile droite du parti conservateur américain tels que Donald Trump, l’ancien homme politique américain Mike Huckabee et ou encore l’actuelle membre du Congrès américain Marjorie Taylor Greene.
Malheureusement, le scénario qui se déroule sous nos yeux a déjà été constaté précédemment dans la cadre de la crise sanitaire ou même lors des évènements du 4 janvier 2021 aux États-Unis. Pourquoi une manifestation au Canada capterait-elle l’attention des médias américains de droite ? Pourquoi un différend sur les vaccins obligatoires pour les camionneurs canadiens se propagerait-il à Paris ? A qui profite une telle situation ?
Notre conviction est que pour limiter la propagation de ces mouvements d’opinion orchestrés et globalisés, nous devons densifier l’apprentissage du raisonnement critique tout en travaillant sur une régulation plus efficace des plateformes.
En 2020, nous avons ainsi mené des études qui ont révélé que la plupart des gens ont une confiance démesurée dans leur capacité à identifier les « fake news » et les sites web partisans. Pour y remédier, nous devons ancrer le recours à une multitude de sources d’informations pour se faire un avis, encourager la remise en question des hypothèses dès le plus jeune âge et d’une manière générale favoriser la souplesse dans la réflexion. Ce sont les clés pour combattre la désinformation et distinguer ce qui est réel et ce qui est mis en scène pour nous effrayer.
Le deuxième axe stratégique est une remise en question du rôle des médias sociaux dans la fabrique de notre pensée. Là encore, nous avons constaté dans nos recherches que les plateformes avaient perfectionné leurs algorithmes pour fournir un contenu axé sur l’émotion, facile à partager et à amplifier, qu’il soit bon ou mauvais pour la société. A la Fondation Reboot, nous estimons que cela doit mener à renforcer les mécanismes d’alertes, notamment auprès des plus jeunes sur les dangers des réseaux sociaux. A la manière de la loi Evin qui prévoit des messages de prévention pour l’alcool ou le tabac, nous sommes convaincus que notre société serait mieux protégée de désordres tels que nous le vivons aujourd’hui si les plateformes devaient mettre en place de type de régulation.
La Commission Bronner vient de souligner que l’apprentissage au raisonnement était aussi important que l’apprentissage de la lecture ou de l’écriture. Cette reconnaissance du raisonnement critique pour la bonne santé de nos démocraties doit désormais se traduire en acte !”
Article initialement paru sur Le Journal du Dimanche